RX&SLAG, Paris

Julio Villani

L'eau rougie de la veine mémoire

Pour sa quatrième exposition à la galerie RX&SLAG, Julio Villani, artiste franco-brésilien né en 1956, présentera un ensemble inédit d'une quinzaine de peintures et de grands papiers marouflés sur toile. Il y témoigne de deux de ses obsessions : l'importance de la nature – qui apparaît dès ses premières œuvres dans les années 1970 –, ainsi que son attachement au langage et aux mots. Ils sont mis à mal dans un monde où le discours des « arracheurs de dents » sont particulièrement bruyants, mensongers et toxiques. En réponse, il crée des œuvres où les lignes tracées au fusain unissent les espaces fragmentées et agencent des formes en équilibre.

L'O de l'eau

Tout part de l'eau. Celle évoquée dans un poème d'Henri Michaux* que Julio Villani a choisi comme titre de l’exposition – un texte qui trouve à ses yeux une résonance toute actuelle – mais aussi, celle constitutive de l'encre de Chine, de l'acrylique et des différents états de transparence de sa peinture, plus ou moins fluide. « Une même eau porte la mémoire du monde, nous constitue – et révèle mes compositions », précise-t-il. Et puis il y a l'O, ligne fermée et lettre de l'alphabet, déployée sur les toiles et les papiers marouflés aux côtés des A, H ou autres I, des lettres brisées, en morceaux. « En ce moment où les mots semblent ne plus rien dire – ou les arracheurs de dents et d’âmes sont aux manettes – que peut un peintre sinon plonger dans l’eau rougie de cette vaine, veine mémoire ? »

Diviser pour réunir
La couleur pure, sortie directement du tube, délayée dans l’eau, épouse en retenue les contours des formes géométriques, arrêtée par des digues tracées au fusain – matière primitive et ancestrale issue de la combustion d'un morceau de bois. Ces traits segmentent la toile, définissent des arbres, des écritures, des architectures légères faites de modules. Il arrive que le premier geste soit le bon, mais Julio Villani peut s'y reprendre à plusieurs reprises pour trouver l'équilibre juste. Alors il efface, gomme, recommence, une, deux, vingt fois, sans cependant chercher à masquer la marque du fusain. La toile garde précieusement ces traces fantômes qui font partie de l'histoire – de la mémoire – du tableau.
Ces lignes sont aussi celles qui dessinent des frontières sur une toile, ou les gomment en en réunissant plusieurs – les œuvres sont souvent composées de deux ou trois toiles assemblées. « Cette division m'aide à structurer le dessin qui viendra. L'idée d’une séparation qui donne lieu à une union est importante aussi car cela me représente : il y en moi deux pays qui coexistent. Relier ce qui est épars est intrinsèque à ceux qui vivent d’ici, de là. »

Et puis, chez Julio Villani, il y a les titres qui sont une porte ouverte sur la poésie et l'occasion d'insister sur son amour des mots, de leur rythme, leur sonorité, leur signification, leur détournement espiègle : Lettres brisées, Poésie de l'infime, Foi persistante, La vérité se cacha en la pleine clarté, Le dessin comme pratique du débordement, Estompage des souvenirs, Les rois images, Imparable jeu de sens, Écoute mon silence
« La poésie permet d'appréhender le monde avec souplesse. On peut tout faire avec les mots… pour autant qu’on les respecte, qu’on les chérisse. ». Un récit parallèle émerge petit à petit de ce jeu de couleurs et de mots, de traces et de traits, et reflète d’autres facettes de l’inépuisable œuvre de Julio Villani.

* Henri Michaux, extrait de Portrait des Meidosems, dans « La Vie dans les plis », 1949
« Des coulées d’affection, d’infection, des coulées de l’arrière-ban des souffrances, caramel amer d’autrefois, stalagmites lentement formées, c’est avec ces coulées-là qu’il marche, avec elles qu’il appréhende, membres spongieux venus de la tête, percés de mille petites coulées transversales, allant jusqu’à terre, extravasées, comme d’un sang crevant les artérioles, mais ce n’est pas du sang, c’est le sang des souvenirs, du percement de l’âme, de la fragile chambre centrale, luttant dans l’étoupe, c’est l’eau rougie de la veine mémoire, coulant sans dessein, mais non sans raison en ses boyaux petits qui partout fuient ; infime et multiple crevaison. »